Les enjeux relationnels de la coopération

Frédéric Back offre de la psychothérapie, formation et supervision. Il est Analyste transactionnel (PTSTA-P) et basé en France.

Christiane Froidevaux offre du conseil psychosocial. Elle est Analyste transactionnelle (CTAT-C).


Dans ce premier article, nous proposons une réflexion sur la coopération. L’agressivité y est abordée suivant la perspective du besoin d’exister dans la relation qui manifeste un ou plusieurs « Besoins relationnels » en souffrance.


Lors du dernier congrès 2019 de Psychothérapie Intégrative à Montpellier sur le thème « Harmonisation et implication : L’art et la science de la Psychothérapie Intégrative », nous avons animé un atelier sur le thème de la coopération. Ce fut l’opportunité de restituer l’expérience de notre coopération qui dure depuis sept années.

Auparavant, nous nous retrouvions souvent en échec dans nos tentatives de coopération (Erskine, 2008). Nous mobilisions beaucoup d’énergie à maintenir un semblant de position OK-OK et, faute de reconnaissance suffisante, nous en ressortions blessés et épuisés. A l’évidence, la coopération n’allait pas de soi. Avec le manque de recul, nous restions avec nos blessures narcissiques jusqu’à en oublier le fruit de notre expérience, sinon d’en garder une certaine méfiance.

Au cours de ces nombreuses tentatives plus ou moins heureuses, nous étions d’accord : « La coopération a quelque chose d’exigeant mais combien stimulant, innovant et inquiétant à la fois : si le point de départ semble clair pour tous, le résultat final demeure toujours une réalité ouverte qui dépasse chacune des personnes y ayant contribué. » (Martin, s.d.).

Pourquoi développer la coopération ?

Certaines personnes confondent parfois les difficultés relationnelles pour des luttes et jeux qui, selon elles, empêchent toute efficacité d’un projet de groupe. Il n’en est rien. Ces agitations ressenties et vécues parfois comme violentes qui ressemblent de l’extérieur à des conflits ne sont que des tentatives de rencontre. Cette agressivité nécessaire est la force indispensable pour exister à l’intérieur de l’autre et faire exister l’autre à l’intérieur de soi. Le but est donc d’exister tel que nous sommes et non tel que l’autre voudrait que nous soyons. Il s’agit de ne pas tomber dans un jeu de chaises musicales où deux personnes ou plus ne peuvent exister en même temps.

Nous avons besoin d’ouvrir les yeux sur la richesse que représente le conflit comme processus de rencontre et d’ajustement. Satisfaire et accompagner le processus du conflit, c’est en quelque sorte restituer à chaque personne sa valeur « J’existe ! ». Il y a un espoir de contribuer pleinement à quelque chose de plus grand que nous-même, qui nous survit et qui nous sera reconnu. Ce qui pose problème n’est pas le conflit mais sa signification. La confusion entre agressivité et violence fait peur et compromet la coopération.

Les propos cités ci-après par Tessier et Bourgeault insistent fortement sur l’intérêt primordial de la lutte et du besoin d’exercer son agressivité dans la relation :

« Pas d’opposition d’idées, point de construction coopérative véritable ! […] Le conflit est le moment pour apprendre à communiquer et à débattre des points de vue opposés pour chercher une solution commune à des problématiques et à des besoins. » (dans Legault, Rada-Donath, Bourgeault, 1999).

Les auteurs « y voient une formule capable […] d’élever les hommes jusqu’à un comportement moral fait de noblesse et de désintéressement ». (dans Lambert, 1964).

Accompagner les conflits dans une démarche d’ajustement des imagos c’est permettre aux individus de développer leur capacité d’ajustement (adaptabilité et flexibilité – Berne, 1963) gage d’une coopération saine et durable. L’adversité n’est ni une fin en soi, ni un système de destruction mais le garant de l’unité des personnes qui coopèrent.

Une définition de la coopération

Définir c’est délimiter, mettre une frontière pour identifier ce qui appartient et ce qui n’appartient pas. Poser une frontière, même arbitraire c’est aussi se donner la possibilité de se saisir clairement de quelque chose car suffisamment bien délimité. Nous proposons ici une définition de la coopération à partir de laquelle nous travaillons désormais.

Nous définissons la coopération comme une association volontaire (d’une ou plusieurs personnes), réciproque, autogérée et paritaire, concourant à répondre à un même objectif mais à des besoins différents.

Nous avons repris les besoins relationnels enseignés par Erskine (1999), suivant un ordre particulier. Les besoins sont présentés sur le schéma ci-après suivant une perspective de développement. L’idée est de relier tous ces besoins suivant une logique qui nous permette de nous situer, situer l’autre et situer le niveau de maturité de la relation.

La coopération, dans la perspective des besoins relationnels, nous a permis de réfléchir à la manière de nous harmoniser et de nous impliquer dans la relation.

Schéma des besoins relationnels.

Présentation du schéma

Pourquoi créer un schéma pour représenter les besoins relationnels ? Nous savons que le fonctionnement humain est fondé sur les relations en contact. C’est d’ailleurs un élément majeur parmi les motivations de la théorie de la psychothérapie intégrative. L’espace relationnel rassemble les conditions dans lesquelles se tisse la qualité d’attachement. Nous savons aussi que chaque personne a sa propre cohérence. Quoique nous fassions comme liste de besoins, ceux-ci sont reliés et organisés. Nous proposons ici une organisation possible.

Dans ce schéma, nous présentons deux perspectives : une hypothèse sur la cohérence des besoins entre eux et une hypothèse développementale :

La relation en contact étant première, nous représentons cet espace par le cercle extérieur. Nous lui donnons une qualité particulière, celle de l’amour schématisé par les flèches mauves pour manifester qu’aimer remplit tout l’espace relationnel en contact. C’est la condition d’une posture relationnelle indispensable au développement d’un « Je » vers un « nous ensemble ».

L’axe vertical présente à l’une de ses extrémités le « vous ». Cela signifie que la personne naît d’un couple, d’un groupe, d’un autre. A l’autre extrémité « Nous ensemble » évoque l’appartenance : « Je suis avec vous et réciproquement ».

L’axe horizontal manifeste le « Je » en relation qui se déplace sur l’axe vertical (les petites flèches bleues) en fonction des besoins émergents.Tantôt « Je » requière la présence prédominante d’un « autre », tantôt « Je » s’exerce avec un « autre » pour réaliser un « nous ».

Le cercle central, « la sécurité », est la condition et la conséquence d’une relation en contact. Le besoin d’exprimer de l’amour, « Aimer » est en écho réciproque avec le besoin de sécurité. L’un et l’autre fondent l’espace relationnel en contact, favorable à la satisfaction de tous les autres besoins. Nous sommes là au cœur de la théorie de l’attachement de Bowlby (1969). Le tout petit perçoit une perspective relationnelle favorable à une relation en contact.

Les trois triangles inférieurs, rassemblent ce que nous pourrions appeler une initiation primaire. Dans la perspective du développement le tout petit a besoin de se sentir accueilli, accepté par une personne fiable, stable et protectrice mais il a aussi besoin que l’autre lui montre qu’il est important et qu’il sait s’ajuster à ses besoins. A la perception d’une relation en contact s’ajoute l’idée d’un intérêt spécifique de l’autre pour soi-même.

Les trois triangles supérieurs peuvent se répartir en deux temps.

  • Les triangles de droite et de gauche, « Définition de soi » et « Validation » manifestent le besoin d’être différencié. Leur satisfaction confirme la personne dans son appartenance.
  • Le triangle du milieu, « Mutualité », peut se voir comme la résultante des deux besoins précédents. Si je suis différent et spécifique, je peux être en relation avec vous dans un échange d’égal à égal. Je peux partager ma différence avec vous dans une relation mutualisée. L’individuation est réussie quand « ensemble » est manifeste dans la relation en contact.
Abeilles sur tournesol. Source : Pexels.

Définition des besoins relationnels

Selon Erskine (1999).

Le besoin d’exprimer de l’amour : La personne a besoin de se sentir légitime d’éprouver et d’exprimer de l’amour pour l’autre qui la reconnaît, la respecte, s’occupe et se soucie d’elle. C’est une manière de « prendre soin » en une affection adulte, appropriée et mature.

Le besoin de sécurité : La personne a besoin d’être qui elle est vraiment dans la relation et se montrer sans craindre de perdre le lien, le respect et l’affection de l’autre. Elle est certaine que l’engagement de l’autre envers son bien-être ne fléchira pas, que l’autre restera proche, disponible et accessible.

Le besoin d’acceptation : Le besoin de faire l’expérience émotionnelle du soutien, de protection, d’acceptation, de disponibilité, en sachant que l’autre ne faillira pas. Le besoin d’idéaliser l’autre pour en intégrer la sécurité qu’il produit face à la peur et à la douleur.

Le besoin que l’autre prenne l’initiative : La personne a besoin de faire l’expérience qu’un autre prenne la responsabilité de l’initiative en étant réellement impliqué et crédible, cognitivement et émotionnellement.

Le besoin d’avoir un impact : Le personne a besoin de savoir qu’elle peut influencer l’autre et de savoir que quelque chose en réponse lui est arrivé. Elle a besoin de vérifier le fait d’être capable d’attirer l’attention et d’influencer l’autre en changeant son émotion, sa pensée ou son comportement.

Le besoin de validation : La personne a besoin d’éprouver de façon viscérale la légitimité de ses processus internes sans honte ni distorsion ou défense. Tout ce qu’elle vit et fait à une fonction importante et significative.

Le besoin de définition de soi : La personne a besoin d’expérimenter et d’exprimer le fait d’être unique. C’est le besoin d’être différent à l’inverse d’être similaire, le besoin de dire non, d’affirmer plutôt que de poser une question, d’être encouragé à se décrire.

Le besoin de mutualité : La personne a besoin de partager son expérience avec un autre qui l’a vécu de façon similaire, imaginaire ou émotionnelle. C’est le désir de n’avoir pas besoin de tout expliquer car il sait déjà.

Conclusion

Dans la rencontre, lorsque des enjeux identitaires se font jour, les personnes « régressent » à l’endroit de leur développement où un besoin relationnel n’a pas été suffisamment satisfait. Le contexte devient le prétexte pour une quête qui entrave la coopération. La leçon qui nous paraît utile de retenir est qu’en prenant le temps de s’arrêter sur les besoins relationnels et de les nourrir, nous donnons toutes les chances à la coopération de réussir. Cette réflexion nous permet de conclure que dans toute coopération le processus prime sur le contenu. Dans un deuxième article nous présenterons comment nous avons utilisé les besoins relationnels dans notre coopération. Nous les intégrerons aux étapes de la coopération en relation avec l’imago de groupe (Clarkson, 1991).


Dans « Les étapes de la coopération », nous analyserons les étapes de notre coopération. Nous y inclurons le concept de contrat, celui des besoins relationnels, la théorie d’ajustement des imagos et les étapes de la coanimation. L’association de tous ces éléments participent à donner un nouveau regard sur le processus de coopération.


Références

  • Berne E. Structure et dynamique des organisations et des groupes, 1963. Editions AT.
  • Bowlby J. L’attachement, 1969. Presses universitaires de France.
  • Clarkson P. L’imago du groupe et les étapes de son évolution. Actualités en Analyse Transactionnelle, 1995; 73.
  • Erskine RG et al. Beyond Empathy, A Therapy Of Contact-In-Relationship, 1999. Routledge.
  • Erskine RG. Cooperation, Relationship, and Change. Transactional Analysis Journal, 2008; 38(1).
  • Lambert P dans A Martin et al. Sens et pertinence de la coopération : un défi de l’éducation, 1964. Collectif pour l’éducation à la coopération.
  • Lessler K, Dick B, Wihteside J. La coanimation et ses étapes. Actualités en Analyse Transactionnelle, 1979; 12.
  • Tessier C, Bourgeault G dans GA Legault, A Rada-Donath, G Bourgeault (dir.). Éthique de société – L’ éthique dans les sociétés démocratiques avancées, 1999. Éditions GGC.

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