La coopération dans les institutions et hôpitaux – Entrevue

Michel Bonjour est consultant en développement organisationnel.
Il est en formation AT dans le champ organisation.

Voudrais-tu dire quelques mots sur toi ?

J’ai 60 ans, suis marié avec trois enfants qui ont entre 31 et 25 ans. J’habite à Echallens. 

Professionnellement, j’exerce en tant que consultant en entreprises, spécialisé dans les systèmes humains et le développement des organisations. Je fais principalement de l’accompagnement de dirigeants, d’équipes et de structures, dans le cadre de mandats de coaching, de gestion de projets ou encore de transitions pour des institutions en difficulté. Je contribue à faire émerger les compétences des personnes et équipes pour accomplir la mission de l’institution de la manière la plus performante possible.

Au bénéfice d’un MAS en Human Systems Engineering à la Haute Ecole d’Ingénierie et de Gestion à Yverdon, j’ai une formation de base en tant qu’intervenant social et animateur socio-culturel.

J’ai passé 20 ans dans le domaine des addictions et de l’alcoologie. J’étais passionné par ce type de population, la mise en place de projets et de structures de type associatives ou fondations. J’ai créé et dirigé divers projets multidisciplinaires de grande envergure. Un projet phare a été de transformer le dispositif vaudois dans le cadre de problématiques liées à l’alcool et aux addictions, pour que l’accompagnement proposé par mes équipes se base sur le volontariat.

A l’époque, l’idée que la personne en difficulté avec l’alcool était capable de penser par elle-même et faire ses propres choix était assez révolutionnaire. Le concept était de passer de « prendre en charge » à « être avec », pour aider la personne à émerger avec ses propres ressources, à développer ses compétences. Le motto de la fondation était que la personne devienne actrice de sa propre vie.

Je suis convaincu qu’on arrive à mettre en place des processus multidisciplinaires très élaborés et efficaces entre médecins, psychiatres, soignants et travailleurs sociaux. On a mis en place un dispositif pour nous permettre d’être capables d’être coordonnés et de travailler ensemble. L’humain et la société étant ce qu’ils sont, les difficultés étaient les enjeux de pouvoir entre professionnels, les parcours personnels et académiques, les identités et rôles liés à chaque profession, etc.

Plusieurs de nos projets ont été réalisés et continuent d’exister, parfois avec d’autres appellations. J’ai cependant réalisé que les acteurs actuels de ces dispositifs refont de nombreuses études déjà faites il y a 25 ans et que souvent, malheureusement, les différents systèmes se sont redéveloppés en silos. Je reste pourtant persuadé que le modèle que l’on avait développé a de l’avenir, bien qu’il soit apparemment encore un peu utopique et lié à des personnes qui veulent coopérer plutôt qu’une réelle culture de travail.

Les défis que je vois dans le domaine public comme avec les entreprises privées, sont les capacités à travailler en coopération et complémentarité. Par exemple, avec la fondation dont je suis vice-président et membre du Conseil depuis de nombreuses années, nous avons de multiples dossiers liés à de forts enjeux institutionnels en collaboration mais aussi en concurrence parfois avec les autres institutions. Un dispositif assez impressionnant s’est déployé en termes de structure et de processus (environnement externe) Une certaine forme de solidarité s’est instaurée avec la crise sanitaire, mais je suis peut-être moins optimiste pour quand la situation retournera à la normale : on risque de revenir dans des concurrences entre établissements où chacun devra assumer sa rentabilité post-covid et assurer sa pérennité.

Grotte de glace. Source: Valdemaras D, pexels.com

Que mets-tu en place pour transformer ces structures en compétition ?

Si je repense à mon dernier mandat, j’essaie de clarifier les rôles et responsabilités, en utilisant un modèle de dialogue organisationnel et le Changement Émergent de Madeleine Laugeri.

L’idée en résumé est de favoriser le dialogue dans une organisation, dans l’ici et maintenant, en favorisant le sentiment d’appartenir à une équipe et la mise en place avec le leader de relations de type « gagnant / gagnant ». Cette méthode d’intervention vise à aligner la stratégie de l’organisation avec les compétences et les besoins des équipes.

Je suis convaincu qu’il doit y avoir un leadership (autorité) qui prend sa place, pose le cadre et la mission, donne les ressources à l’équipe pour qu’elle réalise sa mission, et explique ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. En clarifiant les rôles de chacun·e, en valorisant les compétences et les complémentarités dans le respect des rôles de chacun·e, une vision partagée peut se déployer, du sens est donné au travail des uns et des autres et de vrais signes de reconnaissance peuvent être apportés. Cela permet aux équipes de se resituer dans l’amour du métier qu’ils exercent.

En tout cas, dans les organisations sociales et de santé, la plupart des gens ont choisi leur activité par amour de ce métier, dans l’idée d’aider les autres. Après, il y a aussi beaucoup de jeux de sauvetage et de réparation à prendre en compte. Les gens ont besoin de beaucoup de sens à leur travail, et la direction peut leur redonner un cadre qui leur permet de trouver ce sens, de retrouver des rôles individuels plus interdisciplinaires.

En reclarifiant les rôles et les métiers, on peut favoriser la coopération entre les identités professionnelles apprises ou expérimentées pour redéfinir une vision et une mission commune, des aller retours top-down et bottom-up. Cela permet de revoir les rôles de chacun, pour que chacun puisse apporter ses compétences et responsabilités dans les discussions quotidiennes et dans les décisions.

Voiliers. Source : Irene Lasus, pexels.com

Il y a parfois des tensions entre le « clan » des infirmiers et celui des médecins. Comment l’as-tu vécu ?

Dans un service hospitalier, j’ai réalisé un audit pour analyser le climat social et faire des recommandations sur l’organisation du service. Dans ce cadre, le dialogue était extrêmement difficile entre médecins, techniciens, infirmiers, avec des incompréhensions, des préjugés, des méconnaissances de part et d’autres, tant au niveau des rôles, des métiers, que des compétences professionnelles et décisionnelles respectives. 

C’est un domaine encore difficile, je ne prétends pas avoir réussi à aplanir ces difficultés grâce à ma seule intervention. Mais je crois que cette période a permis aux professionnels de reconnecter des espaces de dialogue en permettant à chaque groupe d’exprimer ses besoins et contraintes. Cela permet de lever les méconnaissances réciproques, se connaître mieux, comprendre mieux les enjeux de chacun, et de décider de dialoguer autour d’une ébauche commune, une vision sur comment travailler ensemble.

Les soignants et les techniciens ont perçu que les médecins n’étaient pas que des « méchants médecins qui allaient faire un maximum d’argent sur le dos des techniciens », et les médecins ont mieux compris les raisons d’un certain nombre de revendications de la part des équipes, ainsi que leur besoin de comprendre certaines décisions.

Dans les projets stratégiques, les enjeux sont assez similaires. J’ai toujours eu besoin de clarifier mon rôle, les enjeux, besoins, attentes, et objectifs minimaux, les dénominateurs communs sur lesquels se rassembler. Cela permet de développer une mission commune, attribuée à l’ensemble du dispositif, et ouvre un dialogue à un niveau stratégique autour de missions communes, en sortant des jeux de pouvoir et des jeux économiques.

Quel modèle te semble plus efficient pour cette coopération ?

On doit aller vers des modèles de gouvernance de plus en plus coopératifs, et conscients de la complémentarité – on le dit beaucoup en théorie. Plutôt que de créer une nouvelle structure, une institution unique qui aurait toutes les compétences et missions autour d’un patient, peut-être doit-on réfléchir aux différentes spécificités de chaque structure existante, et comment collaborer. Dans une petite région il y a des complémentarités à trouver et on ne doit pas vouloir tout faire. C’est une question de conscience, d’état d’esprit, de valoriser et développer les compétences des structures et dans les équipes.

Pinguins. Source : Pixabay, pexels.com

Vers quoi souhaites-tu évoluer ?

J’aimerais développer des coopérations avec des personnes qui ont un même modèle de référence, notamment les concepts et valeurs de l’Analyse Transactionnelle, et mettre en place de manière consciente les différents processus et contrats du Changement Émergent. Je crois que c’est un outil très puissant, qui mérite d’être développé et adapté à la réalité des entreprises.

Mon rêve serait de constituer des équipes qui collaborent avec des compétences différentes – gouvernance, ressources humaines, compétences métier –, avec une vision commune, partagée, et des modèles de comportements qui permettent à tous les niveaux, des cadres et du terrain, d’avoir un même état d’esprit.

Depuis un moment, je réfléchis à une nouvelle structure… Soit je développe mon entreprise et engage du personnel avec une équipe qui collabore dans la même entité, ce qui demande certains moyens financiers que je n’ai pas actuellement, ou alors je poursuis comme indépendant, avec des partenaires qui peuvent intervenir en fonction des compétences et disponibilités. Ce modèle reste difficile à mettre en place car on peut avoir la même vision mais pas les mêmes disponibilités, les mêmes ressources et besoins selon notre situation de vie. Cela reste difficile parce que la réalité nous rattrape.

Ces dernières années, j’ai expérimenté dans le privé un autre modèle, au sein d’une équipe qui favorise beaucoup l’individualisme, et qui a donc de la peine à travailler sur de réelles complémentarités. Ma vision et mes valeurs ont parfois été mises à rude épreuve. Mais cette période a aussi été source d’apprentissage intéressant.

Je pense que l’idéal est une structure en réseau qui offre un cadre, qui propose un modèle d’intervention, donne un label de qualité et chapeaute les activités tout en favorisant les complémentarités et en valorisant des personnes différentes dans leur méthodologies et leur personnalité.

Je souhaite trouver un modèle qui soit plus qu’un réseau, qui nous relie au delà d’un modèle économique (tout en tenant compte de la réalité et des besoins), pour travailler sur les jeux de pouvoir, les égos, la conscience de nos scénarios de vie ; offrir des ateliers de communication sur les Position de vie, et voir comment on accomplit une mission dans une vraie volonté d’Okness.

Je voudrais déjà pouvoir le vivre dans le sentiment d’avoir de mêmes valeurs, de mettre en place des interventions qui ont du sens, dans lesquelles on se fait plaisir, tout en dialoguant autour de nos accords et de nos désaccords.

On peut utiliser des modèles croisés, il existe beaucoup de modèles d’intervention intéressants et ils peuvent être adaptés avec une même vision.


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Entrevue réalisée par Fabio Balli.


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